Monsieur Malcommode ou « Je n’aime pas me
plaindre, mais… »
Je suis en train de réfléchir à l’action de se plaindre et à la façon dont
on perçoit le « chialage » dans différents pays.
En Angleterre, les gens ont tendance à manifester une insatisfaction
en disant : « Je sais que je ne devrais pas rouspéter, mais… »
ou recherchent l’approbation d’autrui en annonçant : « Est-ce que c’est
juste moi ou est-ce que… », espérant en fait que la réponse soit : « Non,
ce n’est pas seulement toi, c’est effectivement… » Approuvée
objectivement, la plainte est alors légitimée.
Mon intérêt pour le chialage interculturel a d’abord été piqué lorsque je
suis venu en Allemagne et que j’ai remarqué à quel point les Allemands se
plaignaient constamment. (Bien qu’ils ont, certes, l’un des meilleurs niveaux
de vie en Europe.) Ça y est aussi naturel qu’un bébé qui pleure dans son
landau. Il n’existe pas de filtre ni de gêne ni de stigmate sociaux.
En contexte européen, l’Angleterre et l’Allemagne se positionnent en fait
aux extrémités opposées du spectre. En Angleterre, se plaindre est perçu comme
un signe de faiblesse, une incapacité à gérer une situation. Il y a divers
qualificatifs pour décrire un quelqu’un qui se plaint (un « chialeux »,
un grincheux, un Monsieur Malcommode...) De nos jours, même de légitimes
plaintes en Grande-Bretagne sont fréquemment rabrouées, étiquetées comme étant
antipatriotiques ou un affront au mode de vie anglais.
Les choses ne pourraient pas être plus différentes en Allemagne, où se
plaindre signifie dévoiler son humanité. Hé! Personne n’est parfait et la vie
est dure, donc partageons nos insatisfactions. (L’opposé, inacceptable, serait
le pendant américain : « La vie est belle », attitude qui y
serait considérée comme présomptueuse).
Il existe cependant une autre forme de plainte, en France. Là-bas,
protester démontre qu’on n’est pas bonasse et indique également que l’on
appartient à mieux. Ceux qui ne se plaignent pas se satisfassent alors forcément
de peu et n’ont aucune ambition. Or, qui se plairait à être ainsi défini? Protester
s’avère donc un indice du statut social.
Ma mère, par exemple, s’est plainte toute sa vie. Elle ne fait pratiquement
rien d’autre, à tel point que si elle cessait de chialer j’en serais très concerné.
Et moi? Comme d’habitude, je suis coincé au milieu. Bien que mon mantra de
prédilection soit « Quand la vie tourne au vinaigre, ça permet de relever
ses manches », le chialage ne m’est pas inconnu. Récemment, j’ai dû passer
un an en Écosse et je ne pouvais pas me retenir de chialer. C’en était trop, et
j’en détestais chaque minute.
Peut-être que se plaindre dénote véritablement une incapacité à affronter l’adversité,
à laquelle la société devrait rétorquer : « Eh bien, il faut t’y
faire! » Du moins, c’est ce que je dis au moment où j’ai peu de raisons de
me plaindre…